mercredi 7 mars 2018

L'Objet Parfumant : Œillères, Roberto Greco



Œillères - L'Objet Parfumant
Photo : Roberto Greco




         Le parfum et l'Art. La force évocatrice du premier, les émotions qu'il soulève et les images qu'il peut  envoyer tel un ouragan à travers le visage le dépose indéniablement dans les filets du second. L'esthétisme, la maîtrise, la vision offerte par le parfumeur sont un art. Peu importe le manque de reconnaissance tendant à reléguer le parfum à un simple produit de consommation, de mode ou d'hygiène. Peu importe la médiocrité de certains, foule de mauvais peintres, cinéastes, chanteurs ou sculpteurs existent. Le parfum est un art. Lorsque l'on fait appel à mes sens et que mon esprit s'éclaire et crépite, il y a Art.  Et chose magnifique il y a aussi l'art autour du parfum. Le parfum autour de l'Art. Comme un support, une toile, un cadre... Quand le parfum se fait philtre et filtre, qu'il se fait odeur et tisse un espace exacerbant la vision d'une oeuvre, il y a art.
Œillères - L'Objet Parfumant
Photo : Roberto Greco

       
       Cette chose troublante est rare. Œillères en fait partie. Œillères est la rencontre sensorielle entre deux formes d'art. Tout d'abord les photographies  de Roberto Greco :  le vivant humain et végétal. Les corps, les fleurs. Pas n'importe lesquels, ceux suspendus en cet instant juste avant que tout ne s'écroule. Se figer, sans plus jamais ciller, au bord de la déliquescence ou du gouffre sans jamais y tomber. L'instant où les fleurs se sèchent mais conservent une perle moite le long d'un pétale hésitant entre plastique et parchemin ou encore au cœur d'une tige toujours droite, un dernier défi. Couleurs et graphisme soutiennent cette fierté et poussent la dualité entre dynamisme et agonie à la façon d'un herbier moderne et violent. L'instant où le corps en apesanteur ploie sous un mouvement qui jamais n'aboutira. Courbes et droites, grains et stigmates racontent une histoire muette, le visage emmêlé et absent. Ils jaillissent de nulle part et s'immobilisent, interrogatifs. Et maintenant ?  Forme et lumière donnent à la chair un modelé brut, voire brutale, mais pourtant la matière conserve une sorte de confort, une assurance. Le végétal et la chair s'embrassent et s'échangent leur fin de vie. Ils se répondent, s'accordent et se désaccordent. Un baiser avant la ruine, une nécromancie avant même la mort... Le corps et les fleurs négligées, simplement sublimées et interprétées par le regard de l'artiste.
 
   
 
Oeillères - L'Objet Parfumant
Photo : Roberto Greco


      Autour de cette série gravite L'objet Parfumant. Roberto Greco livre à travers ce second travail une dimension olfactive à ses images. Une fenêtre ouverte aux quatre vents pour nous plonger encore plus au cœur de cet univers troublant de corps et de végétaux. Éclairer, accompagner, porter, ou plus simplement finement souligner le monde d' Œillères. Ici l'art et le parfum s'embrassent totalement, sans question ni fuite en avant : l'odeur fait partie de la série de photographie. Ce que l'on appréhende avec les yeux se décuple avec le nez. On suit l'artiste sur différents chemins et ces chemins sont foutrement beaux ! C'est un petit vortex qui explose. On est aspiré par cette fenêtre qui redimensionne absolument tous les sens. L'idée touche tout le corps grâce à l'odeur. La perception étend son spectre : par la puissance évocatrice de l'odorat non seulement on voit et l'on sent mais on arrive à toucher la matière, les chairs, les fleurs, on réussit à entendre le crissement d'une feuille, le dernier suintement d'un pétale... On touche la chair et sa chaleur ici, sa raideur froide là...


   

 
   


     Cet objet parfumant imaginé par Roberto Greco a été ciselé par le parfumeur Marc-Antoine Corticchiato, dont la maîtrise et la poésie me ravissent déjà à travers des créations comme Musc Tonkin extrait 2012, Tabac Tabou ou encore Fougère Bengale (mon petit trio de tête... Et puis Eau de gloire tient aussi ! ). La rencontre de ces deux artistes a donné cette chose particulière et superbe qu'est :
         

                                                             L'odeur d'Œillères 



     Trompeuse, la violence fusante et cinglante jouant sur un faux camphre. Ce sont des émanations médicinales de thym, de camomille et de lavande. Logées au creux d'une bourse en cuir fendillé et griffé de clou de girofle, elles s'emparent de l'espace livrant un antique pot pourri où écorce d'orange et cannelle s'imaginent à peine.
    Trompeuse, la timide rondeur de muscs patinés et épicés.  C'est la peau gorgée de chaleur qui irradie entre la langueur d'un labdanum mesuré et la souplesse d'un cuir huilé, ciré. Elle susurre à l'ombre du styrax, bercée de douces vagues terpèniques.
    Cette ouverture est un double jeu où ce qui semble le plus arrogant ne l'est pas forcément. Le fouet sec du cuir vert et animal n'est peut être pas le maître... Face à lui la souplesse de la peau satinée par une transpiration sensuelle ne cède rien.
    Deux univers se parlent. L'un tout en sécheresse et vestiges donne la parole aux herbes et aux plantes, elles sont encore vertes mais glissent inexorablement vers le crissement d'un foin, plus sombre et amer. Un tabac blond parsemé de poudre entre cumin et muscade. L'autre univers est un corps, imperceptiblement teinté de cire âcre et de miel amer, où le moelleux des chairs traverse des volutes d'encens trouble. L'encens d'un temple zen croulant sous une végétation en pleine transition. Celle qui meurt et tombe en lambeau, desséchée ou pourrissante,  celle qui se dresse, vive et encore tendre.  Il y a de la pierre dans cette moisson.
    Doucement le cuir de la peau prend possession du tableau, absorbant les herbes comme un remède, piquant quelques fleurs de façon fantomatique, blanches et jaunes, comme une idée de narcisse. Tout s'étiole mais pourtant la force de la présence reste la même : ce sont les contours qui s'usent et se patinent tout en devenant de plus en plus organiques. Œillères navigue d'une animalité un peu sale, le savon crevassé au bord des mains, à un vieil herbier relié de cuir, prêt à réveiller un dernier pétale.

    Il y a une sensualité terrible dans Œillères, celle de ces femmes aventurières du XIX eme siècle qui ont su balayer la connotation frivole du terme lorsqu'il était mis au féminin jusqu'alors. Au cœur d'une nature étrange, de danger en suspend à chaque pas, le corps malmené sans jamais savoir ce que sera l'instant suivant. Etre fière, femme et se sentir merveilleusement bien, n'importe où, ailleurs et loin surtout. Une odeur de corps et de monde à découvrir avant qu'il ne s'écroule.



Œillères - L'Objet Parfumant
Photo : Roberto Greco






dimanche 30 juillet 2017

Digression : D'Humeur à Rire, L'Artisan parfumeur



Prue Stent






                 Me voici donc au pied du mur. Après avoir savouré avec délice les quatre premières humeurs je me résous enfin à mettre le nez sur celle qui me fait un tantinet peur : ici on parle de gourmandise et ce n'est vraiment pas un aspect que j'affectionne en parfumerie ! Je trouve ça atroce au nez et ridicule à l'esprit. Ces odeurs me semblent une mascarade : se parer d'une chose rassurante et régressive, effaçant toute part animale et sensuelle, tout en étant dans l’exubérance d'un moment. C'est terriblement passif agressif en fait. Mais puisque c'est Olivia Giacobetti qui est aux commandes je me raccroche à l'espoir que cela ne peut être absolument atroce. Et puis il y a une sorte de cohérence dans la factures de chacune des humeurs, la patte du nez sans doute. Donc cela doit même être intéressant de voir ce qu'un "gourmand" donne par ce biais ! Hourra !!!  J'ai trouvé mon courage : je vaporise...

D'Humeur à rire : " Un parfum rose. Comme le rose qui monte aux joues quand le fou rire vous prend. Rose vif. Comme un malabar, comme les rayures des bonbons anglais. Comme les ongles peints quand on a douze ans. Gai comme un tour à la fête foraine. Acidulé comme l'odeur de la pâte à ballon malaxée entre les doigts. Claquant comme une bulle de chewing gum sur le nez de son voisin.
    Une bonne raison de le porter : pour éclater de rire, parce que la bonne humeur c'est contagieux. Pour faire des facéties, des blagues idiotes et laisser libre cours à sa fantaisie. "
Extrait du livret accompagnant le coffret.



            C'est un paquet de Malabar qui claque sous le nez. Le chewing-gum ultra chimique aux mille fruits informes est là, très réaliste et sans froufrou supplémentaire (ouf...?...). Je peux esquisser un sourire oui, l'odeur et les souvenirs font leur boulot. Mais très vite le malabar tente de se trouver des amis, de se mouvoir. Il ne fait que se dandiner maladroitement, s'accrochant à un tronc fantôme de réglisse et d'anis, il se noie dans une mare protéiforme où fraise et banane se disputent la place, tentant parfois un allié coté jasmin ou framboise. Je souris beaucoup moins.
           Si le départ de bonbon ultra chimique masque de sa radicalité la perspective gourmande de la chose, cela ne dure pas. On arrive bien vite à ce sucre guimauvesque, gourmand et écœurant. D'abord c'est l'aspect sucre glace d'une guimauve à la fleur d'oranger qui se pointe. Vite rejoint par un relent de loukoum  rose/pistache. La tentative de faire pétiller ce gloubiboulga par un aspect coca cola ne prend pas : limette et cannelle s’ankylosent dans un glucose qui commence à cuire au fond de la casserole. Une sorte de cherry coke à la vanille se réveille.  Ça coule sur une pauvre pomme d'amour dont le caramel ressemble à une fadasse nougatine périmée.
             Entre deux chapitres du livre "comment retourner un estomac sans passer par la case gorge profonde" une sorte de regain de bon sens tente une approche : un solvant semble vouloir faire place nette. Mais malheureusement il ne sort de la bombe qu'une laque Elnett  à la rose sucrée qui finit en gel fixant à la noisette.
             Tout au long de l'évolution je reste sur le qui vive : ce sont les passages entre "les notes" qui sont les plus durs, comme si l'on ne pouvait éviter les heurts de récifs sournois. Chaque instant où une chose apparaît est un mauvais moment à passer. Le temps que cela se fonde. Malheureusement quand la place est trouvée le siège commence et le sucre s'accumule.
              Pourtant cette Humeur n'est pas atrocement "lourde" à proprement parler (et il y a bien pire dans les gourmands). Je n'aime pas les notes soit mais je dois bien reconnaître qu'elle reste un poil "aérée". Mais j'essaie peut être de trouver un truc à dire histoire de faire croire que je suis bonne foi, car en fait d'aération, toute la légèreté se trouve dans la barbe à papa.  Au final on a juste l'impression d'être au milieu d'une usine de malabar, flanqué d'un vieux guide aux cheveux roses trop laqués qui tripote des restes de gâteau au fond de sa poche. Et on ressort en achetant une guimauve rose et violette à rayures oranges parsemée de trois pignons de pin, et une briquette de lait fraise. Non mais si en fait, c'est dégueulasse...

             Je suis assez étonnée par cette Humeur à Rire. Je me retrouve face à un parfum totalement hors contexte. Il ne va pas avec le reste des humeurs. Le fil de facture entre les quatre précédentes humeurs était un régal, une maîtrise poétique qui savait passer de la douceur à la brusquerie. Là c'est juste un bloc qui sert la soupe qu'on lui a demandé.  Si le départ peut être drôle par son univers et nous ramener à nos douze ans, l'évolution tend vers une sorte de petasserie vieillissante se drapant dans les gourmandises pour ne pas être découverte.



Brazil, 1985.




P.S : Je file nettoyer mes narines et m'asperger d'Humeur à Rien... D'ailleurs, Olivia, mon flacon ne tient plus qu'à quelques ml, si tu avais des réserves à partager, je te chérirais encore plus, merci !!!

P.P.S : Et si quelqu'un veut cette Humeur à rire je suis toute ouïe pour un échange...






lundi 10 juillet 2017

Digression : D'Humeur Jalouse, L'Artisan Parfumeur.




Macaron poivron piment



             
                      Le joli moment passé auprès de l'Humeur rêveuse me donne une folle envie de poursuivre l'exploration des Sautes d'Humeur. Jusqu'à présent Olivia Giacobetti a régalé mon nez et mes sens, sans fausse note. C'est d'ailleurs assez extraordinaire : un coffret de cinq frangrances et déjà trois me plaisent... L'Humeur à Rien me mettrait même presque à genoux devant sa poésie si particulière.
                     Alors comme je suis pleine d'a priori sur celle A Rire et que je ne veux pas rompre l'enchaînement délicieux, je me tourne vers la Jalouse, impatiente de découvrir si le plaisir sera au rendez vous ou non. Car tout comme la Rêveuse, elle m'est totalement passée au dessus de la tête lors de sa sortie en 1998. Aucun souvenir pour éveiller mes fantasmes : je peux commencer à déguster le jus sans autre idée que celle offerte par les quelques mots du livret accompagnant le coffret (je ne le lisais pas pour les précédentes).



D'Humeur jalouse : " Un parfum vert. Vert de jalousie. Vert comme une plante vénéneuse. Amer comme un poison. Celui qui empoisonne le sang de la jalousie, celui qu'elle rêve de faire boire à ses rivales, réelles ou imaginaires. Suave comme l'amande du noyau de l'abricot : amande cyanurée, mais si délicieuse dans la confiture qu'on n'y résiste pas...
   Une bonne raison de le porter : il contient le poison et son antidote. L'amer qui éloigne et le suave qui retient. Deux notes contradictoires vibrant dans ce parfum comme l'amour et la haine dans le cœur de la jalouse. "
Extrait du livret.


                  ... Et ces quelques mots donnent une vision plutôt bonne du parfum. Oui c'est sans doute un minimum syndical, mais ce n'est pas toujours le cas dans ce genre d'essai poético publicitaire qui ne tente que de nous vendre un paysage de carte postale idéal. Si l'on ôte ici le côté sentiment, on retrouve tout à fait l'armature du jus et la façon dont il mène sa vie. Et c'est une vie haute en couleur, toute en contraste de vert, de rouge et de mauve.

                  Immédiatement le nez se trouve au cœur d'une étreinte brutale : une verdeur très crue, potagère, encercle une amande fraîche et toxique, très fusante et tranchante. Pas une amande gourmande mais bien celle, amère, dont la liqueur dégouline du noyau broyé. Elle me fait peur : vais je finir nez à nez avec un marmot prêt à se gâter les dents dans les confiseries ? Non. Elle est vite rabattue et assignée à une autre tâche : en sommeil, elle plane, laiteuse, faisant passer l’ivresse pour du confort.
                  Alors se révèle une armada végétale assez tonitruante, traversant potager et verger. Tout d'abord une sorte de citron vert éclabousse l'ensemble pour attirer notre attention et offrir la curiosité d'un céleri, avec sa réglisse terreuse, laissant planer une fausse impression fumée. Puis une feuille de tomate puissante se déchire. Une explosion : du safran, du piment, du poivron vert. C'est terriblement vert. Le vert de l'herbe écrabouillée, amer et persistant dans l'arrière gorge. Passerais-je près d'un muguet sans m'en rendre compte ? Je préfère fantasmer sur une jeune jacinthe qui cache son nom...
                   Il se pose rapidement et laisse vivre la planche en bois blond qui a servi à découper les légumes. Un boisé doux aux mines de cèdres caressantes. Le céleri semble vouloir se transformer et se poudrer. Pour l'instant il observe, au milieu des graines de piment, du paprika et du petit poivre, l'arrivée de fruits : rhubarbe et coing. L'une dégorge déjà une acidité à peine sucrée, l'autre, tout juste débité, hésite entre rondeur et rugosité. Plus tard, ils cuiront, à peine, sous une pincé de cassonade.
                  L'amande reste fraîche et n'a plus aucune trace de cyanure. Après les légumes et les fruits elle tourne son regard vers les fleurs... Si peu évidentes que je semble les rêver. Un rhizome se dessine alors et prend racine. Si proche de Paprika Brasil ! L'amertume et le poudré s'apprivoise. Le règne végétal et humide laisse place à l’assèchement et l'on bascule vers un aspect plus rêche et crayeux. Le Poivron devient piment séché et ne quitte plus le bois. L'iris jette un œil furtif vers une rose fantôme, puis vers une violette piquée sur un long haricot extra fin. Unicorn Spell n'est pas si loin. Mais il les ignore, de peur d'être démasqué à cause de ces trop habituelles compagnes. Il semble bien plus intéressé par les restes du céleri...
                  Doucement l'énergie retombe et les protagonistes s'alanguissent sur un coussin plus tendre et poliment musqué. Mais ils gardent cette étincelle particulière. Entre âcreté végétale à peine fumée d'encens et crépitement ténu de fruits croquants, la racine séchée et pulvérisée garde son maintien, une capucine dans les cheveux, fière jusqu'au dernier souffle.

                  Cette humeur m'a rappelé des parfums que j'aime énormément (elle leur est antérieure) et m'a laissée assister à une sorte de frénésie au cœur des préparatifs d'un banquet en l'honneur du printemps. Cette profusion verte et amère, radicale, si bien balancée est un délice. J'ai envie d'y plonger à pleines mains. Je suis dans le potager, les ongles remplies de terre et les mains pleines de trésors juteux. Une fin d’après midi tiède et pétillante, lumineuse. Du jardin à la cuisine, je joue à l'alchimie culinaire : tout se transforme, ingrédient après ingrédient. Et lorsque cela se calme, il reste l'odeur de la personne avec la trace des végétaux impossible à effacer totalement. La cohabitation avec des fards rugueux d'un autre age peut commencer.



   Margarethe Maillart, ENS de lyon


                 

                 
                   
                   



samedi 8 juillet 2017

Digression : D'Humeur Rêveuse, L' Artisan Parfumeur




Fotolia

           

                Je n'ai aucun souvenir de cette Humeur ci... De la sortie du coffret en 1998 ma mémoire  n'a gardé que la Massacrante et celle A Rien.  Humeur rêveuse n'étant sans doute pas assez marquante ou dans mes goûts. Pourtant en 2005 j'ai craqué immédiatement pour Extrait de Songe... Quel rapport ? Et bien Humeur Rêveuse et Extrait de Songe sont, créés tous deux par d'Olivia Giacobetti, les mêmes parfums. Le joli nom de ce dernier sonnant comme un rappel après sept années de discontinuation. Je pourrais sans doute trouver des différences, à vrai dire j'en trouve un peu. Tout comme j'en ai trouvé à l'époque entre Extrait de songe et L'Eté en Douce (ce dernier nom n'étant que le résultat d'un différent avec la maison Goutal autour de son parfum Songe, qui, olfactivement, n'a d'ailleurs rien à voir. ). Mais est ce du à mon imagination, au vieillissement des jus ou à un réel remaniement ? Je ne saurais le dire. Une chose est certaine il ne s'agit pas de déclinaisons ou d'inspirations mais bel et bien d'une même partition tout au plus jouée par différents musiciens.


              D'Humeur rêveuse : " Un parfum Bleu. Comme l'infini où s'égare les rêveries. Moelleux comme le lit aux draps métis fraîchement lavés et séchés au soleil. Où l'on s'abandonne à la somnolence de la sieste, l'esprit vagabondant entre veille et sommeil. Tendre comme la brise agitant mollement le rideau de lin blanc et apportant dans la chambre obscure les parfums de campagne. Frais comme un verre d'eau de fleur d'oranger posé tout près de l'oreiller.
    Une bonne raison de le porter : faire, pour une fois, l'éloge de la paresse, et ne pas se laisser tout à fait réveiller par l'agitation alentour. "
Extrait du livret accompagnant le coffret.

            Un fût de bière oublié sous l'ombre d'un tilleul, au pied d'un muret de pierre fraîche. La curiosité pousse à ouvrir le tonneau, le nez juste au dessus de la trappe... Voilà la première impression à la vaporisation d'Humeur rêveuse : une bouffée aldéhydée emplie de tilleul et de levure, le cul de bois patinée et très doux. A peine échappées, les vapeurs se dispersent et laissent flotter dans l'atmosphère des particules plus subtiles et changeantes. Plus douces.
                On aperçoit alors un bouquet de roses, vineuses et un peu grasses. Mais elles ne font que flotter, comme une trace attachée aux lieux, pas de majesté ici. Tout au long de l'évolution elles jouent sur un faux cosmétique, des accompagnatrices de l'ombre. La véritable majesté reste le tilleul. Les fleurs à point, miellées et transpirant une toxicité plastique. D'ailleurs elles appellent le lilas, comme une préfigure d'En Passant  (qui sortira en 2000). Un lilas qui aurait copulé avec une glycine et qui s’emmêlerait dans un immense tilleul, fleurs jaunes et grappes mauves dans un subtil équilibre. A coté de cette danse, piqués entre pierre et chaume, se dressent des iris, accrochant l'eau et la craie.                
                 Il y a au milieu de ce bouquet un twist fruité. Pas un fruit mûr, solaire ou sucré. Plutôt une idée de peau de pomme, odorante et végétale.
                L'amertume céréalière ne quitte pas le tableau. On évolue dans une tiédeur fermentée.  Il se glisse même une esquisse de tabac ultra blond, une feuille enveloppante très fine et transparente mais qui garde la douceur d'un soleil rasant. De l'herbe séchée qui resterait duveteuse poudre l'ensemble.
                Je me sens bien dans cette humeur. Entre rêverie et griserie. L'étourdissement du départ se fait de plus en plus délicat. La bière au tilleul, brute et acre, se réchauffe. Après la vivacité du fruit et la rondeur du cosmétique elle met l'accent sur une patine plus boisée sans pour autant devenir boisé : c'est le tronc du tilleul qui chauffe au soleil, le fond de la cuve qui apparaît après désaltération. J'y apercevrais presque le fantôme blanc d'un encens zen, son empreinte fumée imperceptible. (Olivia Giacobette chez Iunx...)
                 Finalement il a quelque chose de sensuel. Pas une sensualité qui appelle franchement la sexualité ou la séduction. Non. Celle qui éveille les sens, celle de la peau heureuse. La facette levure/bière résonne comme l'écho de cette peau ouverte au plaisir. Plénitude et contentement sont tout proches. Ce parfum n'est pas innocent.




               
Tilleul "sully", Veilly

         

             

P.S : En considérant qu'ils sont jumeaux, j'ai souvent lu à propos de L'Eté en Douce qu'il était un parfum doux (voire même "doudou", l'insulte crétinisante ultime en ce qui me concerne.) et réconfortant. Propre et enfantin aussi. Si j'arrive à comprendre le ressenti de cette dimension je n'arrive en revanche absolument à comprendre comment on peut passer à coté de tout ce pan gorgé de sensualité. Un édredon ou un enfant qui sent la bière, ce n'est pas vraiment lisse. Admettons juste que je parle de L’Été en Douce à sa sortie et qu'il a du être reformulé depuis...