dimanche 25 janvier 2015

Digression : Maturation en flacon ? Muscs koublaï Khan bis et autres...



Hans Baldung, les 7 étapes de la vie d'une femme. 1544




      Lorsque j'ai écrit mes ressentis quant aux diverses moutures de Muscs Koublaï Khan, je débouchais tout juste mon flacon 2012 pour l'occasion... Et je fus platement décontenancée à défaut d'être sauvagement renversée sur une peau de bête !
    Je le trouvais pâle, épuré, un côté jeune fille en fleur au bord du nez, à la fois limpide et brouillon. Comme un vin un peu plat qui a perdu sa jambe bien charpentée.

      Puis j'ai remis le nez dessus un jour de "économisons la sublime version, lapidons le pis-aller" (oui parfois je suis raisonnable, c'est ridicule.) et j'ai été... Décontenancée à nouveau : il avait repris corps. Quelque chose s'était agencé, s'appropriant l'espace, trouvant de nouvelles marques.  Il reste plus clair que mes autres versions, mais indéniablement il a gagné en profondeur, il s'est assombri et surtout il s'est affirmé.
      J'ai alors pensé à l'effet que m'avait fait la version export lors de sa sortie, plutôt horrible, et à la différence que je sentais aujourd'hui dans mon flacon, plutôt pas mal. J'avais mis ça sur le compte des souvenirs, de la déception, voire tout simplement d'une mauvaise forme nasale lorsque je l'avais senti pour la première fois...

      Récemment j'en ai discuté, à plusieurs reprises, avec différents passionnés, bloggeurs, professionnels, fétichistes des odeurs et autres doux dingues...
      La "simple" reformulation ne peut expliquer un changement au fil du temps dans un flacon (un flacon conservé dans de bonnes conditions. Oui, je vous vois venir : non, mon flacon ne prends pas de bains de soleil, ne file pas du sauna au hammam en passant par l'igloo !). Alors la raison tiendrait elle à la "maturation en flacon" ? Le parfum continuerait il son évolution hors de la cuve où il est un peu censé prendre ses marques me semble t il ? (imaginez, vous achetez du beurre mais à vous de le baratter...). Cet état est plutôt bien reconnu pour L'Heure bleue de Guerlain par exemple, qui prend une toute autre profondeur si on l'oublie quelques temps au fond d'une grotte avant de s'en délecter.
      Et puis il y a aussi une question de matière, de récolte, de lot... Mais la part de matières naturelles permet elle cet écart ? La qualité alors ? La difficulté de stabilité dans l'achat des composants selon les volumes ?
      Et si l'ouverture du flacon activait une réaction ? Pour certains vintages qui semblent avoir subit les outrages du temps, parfois une petite aération est profitable : un peu comme si cela permettait à tous les éléments viciés de se faire la malle loin, loin, loin. Bien sûr cela ne fait pas de miracle, juste du bien ! Mais pour un flacon neuf, jamais ouvert, qu'est ce que cela pourrait faire ? Une sorte d'oxydation positive ? Têtue, j'ai racheté un flacon export arcade (je saute sur tout ce qui bouge, donc sur les occasions aussi !), je vais l'ouvrir, le sentir, noter et l'oublier... On verra bien ce que cela donne !

      Tout fraîchement je viens de tester et comparer (en fort bonne compagnie ! D'ailleurs, mesdames, vos avis seront précieux ;-) ) Bois de Violette, cuvée toute récente et flacon export arcade. La différence est là indéniablement. Et... J'ai cette même impression de "plat" et "clairet" qu'avec Muscs Koublaï Khan 2012. Je me dis alors, que peut être, il faut lui laisser une chance, il ne demande sans doute qu'à s'exprimer, lorsqu'il aura grandi un peu.
      Du coup je me demande ce que donnerait Miel de Bois, ma deuxième passion chez Lutens (j'en parlerai sûrement bientôt). J'ai plusieurs versions là aussi, mais aucune récente, il faudrait que j'y remédie ! Aura t il lui aussi besoin d'une dormance dans un bain révélateur, telle une vieille photo argentique ne demandant qu'à apparaître ? Mais alors aurons nous besoin d'un bain d’arrêt afin de stopper le développement une fois découverte l'image voulue ?


      Bref, Muscs koublaï Khan 2012 est plus joli en 2015 qu'en 2014... Cela valait bien une petite rectification !!!




6 commentaires:

  1. Difficile (pour moi) de faire la part des choses, entre ce qui est dû à la reformulation (hypothétique, tous les vendeurs vous soutiendront la main sur le coeur que c'est une légende, j'ai encore récemment vu un match à ce sujet chez Miller Harris, n'est-ce pas Lizzie ?) et l'évaporation ou l'oxydation, ou tout simplement les interactions qui se créent entre les composants du parfum.
    Pour ce que ça vaut, j'ai parfois cru noter chez certains parfums un gain de densité, ou de profondeur, plusieurs mois ou années après le premier essai, ne sachant trop si cette impression est dûe à ma mémoire défaillante ou à un véritable phénomène de maturation comme celui du vin, analogie qui s'impose. Ce sont surtout les parfums à base vanillée/orientale qui m'ont donné cette impression ; pour d'autres, comme les hespéridés ou les floraux, je ne trouve pas que le passage des ans leur soit toujours favorable.
    Ce ne sont que des impressions, le sujet mériterait effectivement d'être creusé de façon plus systématique. Tu vas devoir te mettre à la chromatographie en phase gazeuse ...

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Oui faire la part des choses est compliqué ! Et d'une certaine façon biaisée dès le départ puisque l'effet "première gorgée", avec tout ce que cela implique de découvertes et de sensations nouvelles n'est, par définition, par reproductible : en deuxième test on a déjà une idée en tête... Alors entre souvenir, fait avéré et forme du moment, le tri n'est pas aisé.
      Mais je pense qu'il y a une grande part qui pèse sur l'interaction des éléments, leur mise en place, leur déploiement.
      Et effectivement les hespéridés passent assez mal les années, les floraux les suivent aussi de près s'il n'y a pas une solide "base fixante" pour maintenir le bouquet...

      En tout cas, même si je ne suis pas armée pour la chromato en phase gazeuse, cela semble s'imposer oui ! Il faut trouver un volontaire équipé maintenant :-p

      Supprimer
  2. Bon, j'avais commencé à répondre, et mon commentaire s'est perdu... Plusieurs choses m'interpellent dans ton post. D'une, les écarts liés aux matières premières: j'ai du mal à croire qu'un parfumeur qui fait du volume comme Lutens n'ait pas des "communelles", à savoir des matières premières qu'ils reconstituent à partir de différents lots pour qu'elles sentent toujours pareil. C'est un des gros boulots des parfumeurs maison (Thierry Wasser en parle quelque fois, on voit souvent ce terme chez Guerlain).
    La maturation et l'impact de l'ouverture du flacon (et donc de l'oxydation du jus) me paraissent plus plausibles dans le cas des Lutens... A l'osmothèque, ils mettent dans leurs flacons de l'argon (gaz plus lourd que l'air) qui se pose sur le jus et lui évite le contact de l'air. Ce n'est pas pour rien, je pense... Il faudrait distinguer, par ailleurs, 2 phénomènes distincts, il me semble :
    - la "combinaison" de matières premières entre elles, via une réaction chimique. Mon papa, ancien prof de physique, me rabâche souvent que si le vin devient meilleur en vieillissant c'est grâce à la réaction chimique très lente : acide + alcool donne esther + eau : le vin perd en acidité en en alcool, et gagne en esther (les molécules un peu fleuries et fruitées). J'imagine que c'est quelque chose qui est évité dans la mesure du possible pour les parfums (justement pour privilégier la stabilité dans le temps), mais qui doit arriver tout de même ; on parle de molécules très complexes... Les réactions chimiques n'ont pas toutes besoin d'air pour se produire, mais dans certains cas, ça active le processus.
    - et puis l'affaiblissement, la dégradation des composés, qui n'est pas homogène : dans le cas des 2 bois de violette que nous avons sentis récemment, je pencherais plutôt là dessus. Les molécules délicates qui donnent l'effet joliment fleuri, poudré de la version récente sont très assourdies (dégradées, donc ?) dans la version plus ancienne ; a contrario, l'effet que je crois être le prunol (boisé un peu âcre à mon nez) ressort davantage dans la version plus ancienne.

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Pour les écarts liés aux matières, justement si le point est évoqué c'est pour ne pas oublier cette piste, qu'elle soit ou non valable sur la quantité impliquée chez Lutens (qui reste bien moindre et moins influente que chez Guerlain, et sujette à batailles et "intempéries"). C'est l'effet entonnoir et on arrive vite donc à cette idée de "maturation en flacon" couplée à une oxydation. Mais normalement cette maturation doit avoir lieu Avant la mise en flacon, c'est un peu le boulot des gars là de proposer un produit fini au max, c'est ça qui m'agace un peu quand même... Imaginer que l'on veut si vite me refourguer un jus à prix d'or, avec une étiquette me rappelant que je ne dois pas le conserver plus de 36 mois alors qu'il devient sublime dans 36 mois...

      Maintenant les Lutens ne sont pas hermétiques, contrairement à la majorité des marques, et cela donne peut être une dimension plus marquée et biaisée à cet état (oxydation power?)... Le parallèle avec le vin, qui revient si souvent en parfum, est tout à fait juste et d'ailleurs certains bars à vin utilisent, comme l'osmothèque, un gaz pour conserver des bouteilles de vin ouvertes (on commence à en trouver pour les particulier aussi). Et si je continue dans le vin, outre les bouteilles madérisées, bouchonnées, piquées etc... Il y a celles qui tout simplement " s'allègent", elles perdent corps avec l'âge, rien de réellement mauvais en soi, mais juste elles deviennent flottarde, c'est assez déroutant, surtout lorsque pour une même cuvée on a une impec' et une foutue à déguster/comparer... Bon ça, avec le parfum, je n'ai pas encore eu!!!

      C'est marrant tu parles d'affaiblissement des composés alors que je le prends sous l'angle opposé : pour moi c'est un développement de certaines matières qui entraine un glissement vers qq chose de plus dense... Comme si les choses délicates étaient grignotées... Mais là, je n'y connais rien en chimie, donc je prend l'affaiblissement ;-)

      Merci pour ton avis ! Bois de violette, je vais mettre le nez dessus au plus vite... Je commence a avoir du mal avec lui, "prunol" confit sucré sur violette liquoreuse dans ma vieille version... Finalement j'ai mieux aimé la nouvelle, plus aérée, poudrée et vive...

      Supprimer
  3. Judicieuse digression et pertinente interrogation pour ce début de l'an 2015, à bientôt
    la passante

    RépondreSupprimer