lundi 29 décembre 2014

Digression : L' Heure convoitée et L' Heure Folle, Cartier

     Au fil des Heures de Parfum s'écoulent de jolies choses. Si mon amour total va à La Promise , mon amour volage à La Fougueuse, celui plus léger d'une tendre amitié va de II L'Heure Convoitée, qui me ressemble à peine, à X L' Heure Folle, qui me plait facilement.
      Alors puisque j'aime parfois les déguisements et les plaisirs simples, ces "petites heures" taillées de nez de maître je les ai finalement adoptées elles aussi...




II L' Heure Convoitée : 

      Une bouche charnue peinte de rouge. La pomme craque et garde la marque cosmétique sur sa peau verte et cireuse. Sous les fards, un rire juvénile. Puis c'est l'entrée en scène : froufrou splendide de l’œillet modernisé qui crépite en éclatant des pépins de fraise sous ses talons aiguilles. Ça colle un peu de rhubarbe trop cuite. Étonnante rencontre entre femme fatale cocottant outrageusement de poudre épicée et jeunesse mutine biberonnant son lait fraise. Pourtant c'est doux, aéré, équilibré. Les deux femmes, en parfaite symbiose, tissent une trame subtile, loin de leurs codes. Le temps passe et la jeunesse se patine. Le rouge s'assombrit, iris et rose flottent. Un parquet ciré déroule les pas lactés d'un santal fantôme et résonne enfin du clou de girofle tenu doucement par une laisse infime et veloutée de cannelle. Un coussin, une morsure, un spectacle sous les néons qui finit dans une alcôve où l'on voudrait voir une fumée d'encens ambré. Mais un petit savon nettoie, tout en tendresse, cette idée finalement...

       Révisé, l’œillet d'antan en majesté (vieille poule que j'adore !)  regorge de vie et de modernité sans rien renier de la femme fatale et piquante qu'il sait être. La séduction pétille et ronronne.




X L' Heure Folle :

       Vivacité éclatante d'un tourbillon fusant, pétillant et grisant de bonne humeur. Au milieu des verveines citronnées, à l'ombre des lavandes, les buissons regorgent de groseilles déjà rouges, de framboises encore vertes. Le paysage défile le long d'un chemin sauvage parsemé de minuscules violettes. Les fruits rouges et acidulés deviennent noirs et denses, fièrement provocants au milieu des ronces folles agrémentées de roses. Alors la main froisse des feuilles, s'accrochant leur fraîcheur diffuse. Enfin le festin de myrtilles, de mûres, de cassis est à portée de bouche. Une rondeur un peu âpre émerge, sans le moindre sucre. Mais indéniablement le fruit mûrit. L'herbe près du lierre devient un peu plus grasse, une esquisse cireuse, les baies encore plus sombres. Au loin, la haie de buis diffuse dans l'air tiède son odeur au boisé vert et ammoniaqué, une réponse aux bourgeons de cassis sans doute arrachés lors de la razzia. Le soir tombant, l'idée d'un voile musqué dessine enfin la femme derrière le buisson, tout s'arrondit tendrement...

       Loin des codes rouges et sirupeux ordinaires, ces fruits servis à même le buisson sont un régal sauvage. Le parfum raide d'une course bucolique qui s'apaise dans la nuit chaude.







      Ces deux heures ci sont celles du "de temps en temps"... Quand mes envies d’œillet ne souffrent plus mes vieux vintages, quand mon Eau de mure de Maître Parfumeur et Gantier se fait trop sexuelle (oui, cela parait étrange j'imagine bien, mais j'en parlerai sans doute un jour...), alors je me tourne vers elles et je les porte ainsi juste "de temps en temps".  Et toujours, le plaisir de les redécouvrir me fait dire "tu devrais y penser plus souvent" !
      Mais il y a encore d'autres heures auxquelles penser...





mercredi 24 décembre 2014

Digression : L' Heure Promise et L' Heure Fougueuse, Cartier.

 
     Chez Cartier les Heures sortent sans se soucier de l’horloge, au gré de l’inspiration de Mathilde Laurent. Tableaux lumineux ou sombres, pétillants, vibrants, charnels, farouches et poétiques, elles sont de véritables trésors.
      Mes aimées sont de dentelle ou de cuir, ciselées ou martelées, elles sont chères à mon nez, à ma peau, à mon portefeuille...



  I, L'Heure promise : 

      Un éclat vert parsemé de poussière argentée, une fulgurance violette autour de laquelle s'enroule
des volutes brunes. La douceur est écartelée, explosée. Elle est présente mais brisée en mille éclats par la fraîche raideur princière de l'iris. Pourtant ce n'est pas un iris rêche ou terreux, il reste âpre et un peu amer même, gorgé de givre, limpide. L'odeur s'assèche. Une condensation en forme de bâton de rouge à lèvre au fond d'un sac glacé prend forme. Un savon craquelé s'émiette, poudre s'insinuant dans chaque recoin. Et puis le santal. Comme une fumée d'encens découvrant un autre paysage. Ça se réchauffe, oscillant de plus en plus entre rondeur baumée, musquée et sécheresse âcre. Rigide mais généreux. Vapeur de santal et poudre d'iris ourlées d'une douce acidité toute féminine, c'est une déesse aux huit bras qui se dresse, enveloppante et intransigeante, esquissant un orgueil charnel à qui peux la voir...

     Celle qui s'est imposée comme une évidence, un coup de foudre olfactif. Un sillage sublime, une tenue magistrale. L'Heure des anges ? Absolument pas pour moi... Douce et tendre ? Toujours pas...



  IV, L'Heure Fougueuse : 

    Le souffle fraîchement anisé d'une chevauchée entre pampa et steppe sous un soleil qui ne chauffe pas. La chaleur c'est le corps, celui d'un étalon épris de liberté. C'est aussi le maté, préparé sous le boisé du chêne. Tiédi par le vent avant même qu'il ne coule, un peu rugueux, au fond de la gorge. Un confort spartiate plus grisant que tous les moelleux du monde. L'immensité des paysages miroite entre vert tendre et paille brunie. L'étendue est sauvage. Pourtant elle a l'assurance calme et bienveillante. C'est le moment où la peau rudoyée s'apaise. Le floral blanc jauni qui dansait avec l'herbe doré se patine d'accent presque gras. Un cuir vivant qui ne pousse pas dans une tannerie. C'est une animalité tendre, au grand air. Rien de sale, juste du foin qui s'accroche au crin, de la peau qui a palpité... Tout est limpide et à perte de vue, sans entrave. Un paysage, un animal totem, une communion.

    Véritable coup de cœur dès sa sortie en 2010. Une vision de l'animal qui ne cède pas au fécal, au sexuel ou au simple fumet cuiré... Toute en nuance sans perdre de caractère.








    ... Il y en a d'autres que j'aime. C'est d'ailleurs assez étrange car sur les dix que compte actuellement la collection, seule une me déplaît franchement : VIII, L'Heure Diaphane. Elle marche très bien parait il... Vraiment ? Les gens aiment donc l'odeur des toilettes de luxe toutes propres, récurées de frais...
    Mais peu importe après tout puisqu'il y a :  X L'heure Folle et son buisson de mures, XII L'Heure mystérieuse et son encens nimbé d'étrange jasmin, XIII La treizième et son cuir fumé rude et pourtant délicat, II L'Heure Convoitée et son œillet éclatant des pépins de fraise , VII L'Heure Défendue et ses fèves de cacao foulées aux pieds...



lundi 17 novembre 2014

Digression : Adieu Sagesse,Jean Patou

Extrait du livret contenu dans la boite de collection 1984


          
       J'aime écrire sur ce qui me plait. L'envie de passer du temps entre sentiments, émotions et mots ne me vient qu'avec le plaisir d'une jolie chose, d'un beau jus. Les cas désobligeants à mon nez n'ont d'intérêt que s'ils sont le fruit d'une énième torture de l'ifra, de la mode, de l'argent... Parler d'une reformulation peut me plaire : un aimé défiguré tord le ventre, un aimé légèrement botoxé peut prêter à tendresse, un aimé ressuscité émerveille.

       Ainsi, lorsque Patou  décide de rééditer certains parfums de son patrimoine, je ne peux m’empêcher d'en parler : mon adoré  Chaldée , l'histoire de la boite de miniatures retrouvée, l'enivrant grand flacon de 1984, l'odeur revue de celui de 2013...
      Puis l'annonce d'Adieu Sagesse arrive et me voilà frétillante d'impatience, certaine d'avoir aussi plein de choses à en dire... Du vieux que j'aime, du neuf à découvrir, que demander de plus ! 

      Seulement voilà, j'ai confondu beaucoup de choses : le plaisir, le transport, l'excitation, l'envolée des sens de cette journée d'orgie, le nez affolé par douze "nouveaux" Patou, je les ai raccrochés à lui, Adieu Sagesse, j'ai tout flanqué sur son dos. Il est le premier flacon de cette série que j'ai acheté, mon premier coup de cœur. Pourtant il n'est pas mon préféré... A peine une favorite de quelques heures vite remplacée. Il est rangé et il n'est pas sorti de sa boite depuis des années. 

Retrouver mon premier amant chez Patou, Ô merveille ! 
Oublier qu'il n'avait jamais été le plus doué, Ô idiote !

     
      
           


    Ma collection 1984 : Adieu Sagesse, edt 75ml



         Voici les quelques mots, à l'intérieur de la boite de miniatures, présentant Adieu Sagesse. A l'époque les fleurs blanches m'agaçaient, m'étouffaient. Le muguet était déjà du vomi d'herbe à chat au poivron. Quant à l'exotisme, pourquoi pas l'atroce Pina Colada tant qu'on y est !!! Pourtant il m'a énormément plu... Aujourd'hui un peu moins.

   
       Alors comment parler de lui ? Je le trouve toujours beau, mais il ne me ressemble pas... Il n'est plus au goût de mes jours. Mais je l'aime bien, vraiment, et voilà pourquoi :

      Parce que pour moi c'est un énorme pot de crème onctueuse et poudrée, vieillotte à souhait. Entre rigidité piquante et moelleux huilé. Un coussin de muscs doux empreint de néroli et marqué d'une trace d’œillet, façon fouet.
   La sensation d'une danse entre les squelettes de L'air du temps et du Dix dans un paysage doucement exotique. Accrochés à cette armature une vague de fruits murs va et vient au milieu des fleurs blanches. Du cassis à l'ananas, une palette étrange se déploie, presque "jasmin fraise", confite d'orange douce... Puis c'est une petite mangue de gardénia qui pointe, sans sucre, juste juteuse avec cette petite âpreté de champignon.
   Toujours poudré et crémeux à la fois, il avance doucement vers une facette plus organique et miellée, un peu cirée. Après les fruits et le frôlement d'un savon croupi, la patine avec la peau, plus délicatement sensuelle, arrive enfin. Un peu de musc, de civette... Mais toujours ce penchant vert qui tranche avec le rouge de l’œillet, un vert organique et un peu cuiré, poussiéreux. Tout est enrobé de miel dilué et de cosmétiques effacés. Cela reste doux et de "bon ton".

    J'ai du mal avec le concept "Parfum doudou", à la rigueur "Parfum cocon". Mais celui-ci est un parfum confortable, du bien être élégant, on s'étire, on se sent femme, on se sent bien.
    Moment d'abandon ? Ce n'est pas ainsi que je m'abandonne en tout cas... Ou alors seule et sans aucune histoire de mains à la clef...















Collection Héritage, 2014 : Adieu Sagesse, edt




Une petite recette magique est passée par là... Toute simple. Vous connaissez celle du Quatre Quart? Et bien vous voici prêt à réaliser votre propre Adieu Sagesse.






Ingrédients :

-1/4 d'Adieu Sagesse millésime 1984 (si vous en avez du 1925 oubliez, cela corserait trop la recette je pense...)

-1/4 d'eau de source de montagne (l'eau du robinet peut faire l'affaire, mais ce "petit plus" plat et ferreux n'y sera pas)

-1/4 de déodorant Dove (à défaut de l’assouplissant non dilué fraîcheur blanche des vergers sous la brise peut s'envisager)

-1/4 d'imagination (vous pouvez même en rajouter une rasade, cela permet plus de moelleux lors de la dégustation)

                                                 


Une fois vos ustensiles passés au Paic et à la Javel vous pouvez commencer :
Mélangez vigoureusement en prenant tout de même soin de laisser la couche de Dove nager en surface. Quelques grumeaux d'Adieu sagesse 1984 peuvent apparaître, ce n'est pas grave. Veillez simplement à ce que l'eau ne s'évapore pas trop, il serait dommage de perdre tout son caractère. Quant à l'imagination elle doit absolument  enrober chaque élément (c'est la seule partie technique de la recette ne vous inquiétez pas).
Enfin, pour la décoration, piquez des brins de muguet, parsemez de pétales de rose afin de bien recouvrir le tout et terminez en saupoudrant de sucre vanillé.





Suggestion d'accompagnement : si vous êtes friand de questionnements existentiels je vous conseille un œil perplexe (l'autre pouvant être incrédule). Si vous préférez les joies d'un terroir plus franc le grand éclat de rire est parfait.














mercredi 3 septembre 2014

Digression : Chaldée, Jean Patou




     1984. Depuis cette année là une jolie boite siglée Jean Patou dort au fond d’un garage, bien au frais dans le noir, douillettement calée dans la poussière. Si tranquille qu’elle n’est jamais venue se rappeler à mon bon souvenir en plus de 20 ans. Et franchement les 12 miniatures d’origine qu’elle renferme n’ont plus eu aucun intérêt à mes yeux depuis belle lurette. J'ai oublié.


    
   

     2009. La boîte refait surface. Les miniatures m’indiffèrent toujours autant, mais leur précieux liquide, lui, fait immédiatement friser mon œil. Tous sont de sombres inconnus et donc je me jette dessus avec avidité… Malgré la vilaine tête de certains, le corps est toujours vaillant et le plaisir bien au rendez vous. Je tombe amoureuse : exit les mignonnettes, je veux de vrais gros flacons.


 

 
    Mon premier coup de cœur fut Adieu Sagesse et avec lui commença ma quête des edt 75ml éditées en 1984. Des extraits aussi. Puis carrément des purs vintages. Je sautai ainsi sur plusieurs flacons et à ses cotés vinrent s'ajouter : Divine folie, Moment Suprême, Câline, Cocktail (qui est une création spéciale pour la collection, fruit d'une orgie entre Cocktail Sweet, Cocktail Bitter Sweet et Cocktail Dry, dont je rêve toujours d'ailleurs.)... Mais surtout Chaldée . Il est celui  qui m'a bouleversée. Qui chaque fois fait danser une petite boule bien agréable dans mon ventre. Même une vieille huile solaire fait mon bonheur ! Ce liquide rouge et visqueux, sans aucun indice de protection, je vous en débarrasse volontiers, ma peau blanche et allergique se fiche pas mal des conséquences parfois...
    Oui Chaldée est bien celui dont je suis tombée amoureuse, il possède cette chose familière, comme une évidence : une peau à l'autre bout du monde que l'on reconnait entre toutes.  




      2013. Patou décide de rééditer certaines merveilles de son patrimoine. Joie, jubilation : Chaldée est à
nouveau en production. Temporisation, réflexion : en notre sombre époque de soumission à l'ifra que va-t-il sortir du flacon ?  Créé en 1927 par Henri Alméras, il y a peu de chance que le lifting ne soit au rendez vous, et de toute façon un peu de botox devait bien déjà avoir coulé dans son flacon en 84... Peu importe, je fonce... Et je déchante un brin.
   J'ai alors mis du temps pour lui pardonner et pouvoir en parler tendrement, ou plutôt en parler simplement et honnêtement.
   Voici donc venue l'heure du petit duel au soleil qui agite mon nez, entre "Ma collection" et "Héritage"...








        Ma collection 1984 : Chaldée, edt 75ml.

                
    C'est ainsi que Chaldée est présenté dans la boite de miniature : à l'intérieur du couvercle chaque fragrance a droit à quelques mots en guise d'amuse-nez avant le grand plongeon. Autant dire que plusieurs de ces mots ne sonnent guère doux à mes oreilles : Soleil ? J'y suis allergique... Fleurs d'oranger ? L'ennui me guette... Ambré ? Tuez moi avant la vanille... Et pourtant il m'est devenu indispensable...
   
   
     L'ouverture de Chaldée est un rideau que l'on tire et qui laisse entrer un soleil caressant à travers une vitre encore fraîche. L'effet vert mais tendre d'une jacinthe encore endormie mêlée à la rondeur un peu grasse d'une fleur d'oranger huileuse et solaire. La fenêtre entrouverte laisse un instant tourbillonner fraîcheur renfermée et chaleur moite, rien de tiède, juste un suspens sur qui l'emportera... C'est fugace. Déjà le jasmin offre un coussin charnel et la chaleur gagne doucement. Mais la jacinthe ne lâche rien, elle se réveille même, sa verdeur se fait plus raide, sa fleur découvre un aspect narcotique, entre miel acre et rose fusante. C'est dense, ça monte.

    L'ampleur se dévoile. Les fleurs sont toxiques, à la limite du plastique. La jacinthe se fond avec un lilas d'abord un peu jeune et qui au fil de l'évolution mûrit... C'est leurs vies qui s'écoulent. Le narcisse s'invite sur un lit de terre végétale, sablonneuse et blanche, du foin éparpillé ici et là. Une animalité se révèle, lascive et indolente prédatrice. C'est la peau au poudré étonnant qui chauffe au soleil. Oui il y a bien un aspect cosmétique dans Chaldée. Non pas rose/iris typique, mais une sorte de fleur blanche, à peine amandée et poussiéreuse, qui se salit de fausses violettes et de mimosa. Mais sous ce poudré palpite un flux plus organique. Diffus, rien d'ostensible, un appel par le miel. Simplement un ventre qui palpite, la gorge prête à gémir... Puis cette chaleur sombre qui bat et augmente...

    L'ambre, totalement contrôlé, semble flirté du coté d'un benjoin transparent... Une sorte de boisé épuré accompagne le mouvement, un fantôme indispensable et pourtant irréel. J'aurais même envie d'entrevoir une esquisse de fumé... Et puis ce fruit étrange, ce fruité plus exactement, qui trempe dans une orange douce, accroche une miette d'abricot et se roule dans la cannelle et l’œillet... Pourtant il est aussi vert et baumé, résineux, il appelle l'opoponax. Un velouté s'incruste dans la peau. Une idée de cuir huilé qui doucement devient plus raide sans pour autant montrer un visage franc. Tout doucement un reste de vanille se dépose, juste une poudre, à peine remarque-t-on l'amande qui l'accompagne. Et toujours cette trace, un peu acre et doucereuse à la fois, cette odeur de gorge sublime de plaisir... Qui rivalise tout de même avec un léger effet, non pas réellement cul du chat, mais pour le moins, son pelage. La peau, la salive, le chat.

    Chaldée s'éteint dans la même ambiance que celle où il naît : la chaleur tamisée côtoyant encore une fraîcheur diffuse. Cet effet évite tout écueil de cliché grossier sur les vacances, la plage, le soleil et toute la caravane. Rien de ce que l'on nous servirait aujourd'hui avec un tel brief ne sort de lui. Alors oui la peau chauffe au soleil, le sable roule sous les doigts, le sel s'accroche et donne cette irrésistible envie de lécher le corps... Mais Chaldée est au delà, d'une autre époque, plus sensuelle et féminine, plus assurée et moins démonstratrice...
 
    Tout comme la présentation sur le couvercle, je ne suis pas certaine d'être en accord avec les mots que Patou nous donnait finalement :

Extrait du livret accompagnant la boite des miniatures
   


     Aucune importance évidemment. Et pour moi Chaldée restera l'odeur d'un corps qui s'étire. Nu, en plein soleil et face au vent. Puis ce corps déroule sa journée entre sensualité et sourire, il se salit, se grise... Il vit.
 





    Collection Héritage, 2013 : Chaldée edt



    Aujourd'hui Chaldée est présenté sur le site officiel de Patou de façon bien moins... Disons beaucoup plus sobre, élégante et chic, le bon gout normatif à l'état pur. Bref, "c'est classe" et le site français nous donne donc en anglais ces quelques mots :

     ..."An oriental, floral, spicy powedery fragrance made up of amber and flowers, spice and opopanax. This daring combination was intensified by the heat of the sun and Chaldée was born. Today's Chaldée is a frangrance which evokes the opulence of La Belle Epoque and a time of freedom and change."...

   Nous retrouvons bien l'ambre, les fleurs et les épices... Retrouverons nous Chaldée ?

 

    Le départ est un peu déroutant : vif et bien plus citron/bergamote. Mon nez est envahi par un cif agressif en réalité. Et puis ce vert ultra fluo... Muguet !!! Voici donc ma jacinthe transformée en ersatz de muguet, feuilles vertes écrasées, notes aiguës stridentes. C'est loin de ce que je connais. Est ce que je mets cela sur le compte de mon vintage qui serait quelque peu étêté ? J'en doute, mais je passe outre grâce au bénéfice du doute. Ici tout est plus acide, même la fleur d'oranger se fait moins opulente et grasse, elle est légère, pas encore bébé mais la limite est proche... Il me faut du temps. Pour aérer mon nez, pour reprendre mes esprits, pour arrêter de pester. Mais je commence à reconnaître mon aimé, ça avance...

    Le parfum posé il semble tout de même drôlement déguisé : des élément tronqués, d'autres poussés, c'est un peu la foire. Le poudré discret, et surtout parfaitement fondu dans la construction de l'ancien, fait la place belle à une sorte d'Ombre Rose imposante, la verdeur en plus.  Et toujours ce truc piquant, comme une sorte de rose à la citronnelle, de géranium bridé au jasmin...Ha oui le jasmin ! Le voici et il porte enfin Chaldée vers ses racines même si tout reste vert et acidulé. C'est joli mais ce n'est pas Chaldée... Du tout...

     Il se réchauffe doucement (lentement) et, je ne sais comment avec de telles conditions, il y a bien cet effet salive qui tente de percer, collant les grains de sable contre une peau tiède. Ou plutôt grillée la peau, comme une amande à peine torréfiée. Et deuxième catastrophe : vive le macaron... L'édition 2013  a bien compris l'engouement de la ménagère pour ces petits gâteaux du plus bel effet pour sans doute bien des occasions, et en a fichu dans le flacon... C'est très mauvais pour le bikini pourtant. En toute honnêteté on est loin du gourmand mais c'est tellement incongru de voir l'amande se développer de la sorte... Oui encore une fois c'est joli, mais ce n'est pas l'idée.

    Plus l'évolution avance plus le vieux Chaldée reprend corps... Toutefois il est fort contrarié de ne pouvoir exploser à loisir, engoncé qu'il est dans des robes à fleurs virevoltantes. Il reste tapi. Rien ne se déploie réellement. Ses épices sont un mélange éventé, bien léger. En fait il est simplement rajeuni je crois. Plus joyeux, c'est devenu une jeune fille à bicyclette, cheveux au vent avant d'aller à la plage. Je n'y ressens aucune animalité ni sensualité.

    Mais une jolie chose arrive : l'aspect aigrelet vert fait place à une acidité toute féminine, une peau moite et propre doucement chauffée par un ambre tamisé, les amandes torréfiées toujours présentes. C'est encore un peu vert (foutu muguet) mais ce n'est plus agressif, juste un peu vif. Ce fond est très joli et le souvenir de Chaldée prend enfin forme, même s'il est un peu délavé, s'il a perdu du corps, il est bien doux de le retrouver. J'approche même enfin de la salive qui semblait ne pas oser. Distillée comme une note cachée, se jouant du nez et des conventions, elle est bien là, accrochée malgré cette modernité hygiéniste. Dans le fond c'est un peu Chaldée...

    Finalement je pensais avoir plus de tendresse pour lui. Pris seul il passe plutot bien et me semble assez aimable. Mais il ne soutient aucunement la comparaison. 1984 était sensuel, animal, confortable. 2013 est criard, propre, pointu. Il n'est pas à bouder, loin de là, mais il a tant d'accro à sa formule que cela a changé sa destination. Et puis ce muguet sur ma peau... Il n'y en a pas ? Alors c'est pire...




...Le prochain trio de la collection Héritage annonce Adieu Sagesse... J'appréhende et je suis folle de joie. Suite au prochain épisode donc...





dimanche 17 août 2014

Digression : Tabu, Dana

Chanson d'automne, Erté.
 

      Un parfum qui a traversé nos vies et resurgit, par hasard sur un inconnu ou volontairement sur notre peau, devient un véritable juke-box à souvenirs, tout le film et les émotions reviennent, intacts, palpables... Rien de nouveau finalement, cette évidence nous la connaissons tous. Mais un jour j'ai été prise au dépourvu :

      Un Parfum qui n'avait jamais traversé ma vie a réussi à me plonger au cœur d'une explosion de souvenirs, d'une époque un peu folle. Je ne l'avais jamais senti avant et pourtant, les lieux, les gens, les musiques, les couleurs, les goûts, les corps, tout était là. Les sentiments, les émotions, les humeurs de ces jours se sont alors nichés au creux de mon ventre avec une tendresse assez hallucinée pour le nouer délicatement... Un effet schizo doux, de l'autre coté du miroir sans pour autant le traverser, un tour de magie aux saveurs de poudre sans silicone.
     Ma première réaction ? Un vague scepticisme mêlé d'un vaste sourire. J'ai cherché une personne à qui pouvoir raccrocher cette impression. A qui cela pouvait-il me faire penser ? Je peux citer le parfum d'une dizaine de proches de cette période là et recomposer leur odeur... Justement personne. Et de toute façon ce parfum, Tabu, ne sent pas une personne. Ni même le fameux " ça me fait penser à Truflon sur Borgne, à cause du miel de la vieille ruche du vieux Lodia qui patatitata... " . Ce n'est pas non plus l'odeur " des pies de Granny " ni " le truc qu'on met dans le machin " . Non, Tabu n'est ni une personne ni une évocation. Il est tout simplement l'odeur d'un bout de ma vie. Tout comme l'on peut dire j'avais les cheveux bleus à cette époque, j'avais quinze ans, les royales étaient parfumées à l'anis ou à la pêche et l'abonnement internet se prenait au forfait 5h/mois, je peux dire que ma vie sentait Tabu de Dana... Et c'est terriblement étrange. Comme si le chemin du souvenir olfactif se faisait à l'envers, un calque parfait qui n'a jamais connu l'original, de quoi me prendre les pieds dans la théorie des cordes et tomber dans un trou de ver...

     Entre mon bout de vie et la légende de Tabu, de troubles conclusions pourraient poindre : le parfum interdit, défendu, celui qu'une putain voudrait porter. Voilà l'atmosphère voulue pour ce parfum créé en 1932 par Jean Carles, qui sait fort bien jouer de cette image puisque qu'en 1937 suivra Shocking, pour Schiaparelli.
     J'ai différentes formules et concentrations vintages (facilement trouvables), et aussi une plus ou moins actuelle. Bien que cette dernière version ne soit pas à bouder (je devrais peut être vérifier en fait...), je parle ici d'une cologne du début des années 60' car c’est elle ma machine à remonter le temps :

      Le voyage commence au milieu d'une macération d'épices assez épaisse : cannelle, muscade et clou en majesté. Plutôt compacte, cette décoction sur lit de patchouli pourrait se prendre pour une mélasse lourde si elle n'était éclairée d'une douce orange zestée de bergamote. Ce départ me fait toujours un peu peur : durant quelques minutes, un fantôme de soda réduit, collant et sucré apparaît, un fruit compoté entre framboise et prune jouant les bonbons à la gomme au fond du verre... C'est tellement éloigné de mes codes, de mes goûts... Je me demande toujours comment avec un tel départ je peux le relier à des souvenirs. Mais pourtant la suite n'en démord pas, ça se confirme, il sent une bulle de mon passé. De la salle de bain où l'on se farde jusqu'à la soirée au fond d'une cave, pour finir dans le premier rade ouvert à 6h30 et avaler le premier café du jour avant d'aller dormir (ou d'aller en cours de philo)...
    Très vite la mare limite poisseuse (c'est exagéré oui) s'évapore. De son empreinte émanent des volutes sèches, presque arides et piquantes. Le sucré chimique devient sucre non raffiné, la cannelle s'apaise et laisse plus de place à un clou de girofle patiné, comme infusé dans un baume au miel. 
    L'intérieur du paquet de cigarettes blondes, la pochette d'encens acheté aux puces, les cheveux imprégnés d'huile au jasmin, le visage trop poudré, les fesses posées sur un vieux meuble en bois ciré. Le coeur de Tabu. Un peu fusant, un peu baumé, assez animal.
     La fumée du benjoin rend l'atmosphère trouble, la chaleur de l'ambre pulse doucement. Les vêtements s'imprègnent de clopes, la musique résonne et les corps dansent entre sueur et salive partagées, musc et civette. Une banquette en moleskine rouge déchirée offrent un peu de repos. C'est peut être sulfureux mais tout le monde s'en fiche. Un gout de transgression ? Non, juste profiter de la nuit et de la liberté qu'elle recèle.
      Tabu s'éteint lentement et conserve tout du long ce voile de benjoin, tabac et ambre, sur trame de patchouli. Il s'est couvert de traces de salive et de gouttelettes de vin de rose, il colle encore parfois légèrement de miel, mais enfin  la nuit s'achève doucement, heureuse et repue, un peu assommée aussi.

     Par moment je me dis que Tabu aurait pu n'être qu'un simple verre de Root Beer propret (une vieille trace de savon fendillé fait partie du tableau)... Je n'y vois jamais de signe hautement cul, point de culbute à l'horizon, pas de " parfum de puta ". Sans doute l'accord vanillé m’empêche-t-il d'accéder à cette révélation (qui dit vanille dit anti sexe pour moi). Mais il a ce twist sombre et provocant, cette façon de dire " me voilà, je fais ce que je veux, j'en fais trop mais il n'est pas de plaisir superflu " .


    
Vieux flyer, vieille soirée, Cave Lachapelais d'avant le Bal des vampires... Une page de vie gothique.


     





samedi 26 juillet 2014

Digression : Velvet Gardenia, Tom Ford







   

        Si, une fois de plus, je dois avouer une chose, c'est que Velvet Gardenia est celui qui m'a permis d'apprivoiser réellement les fleurs blanches. Pourtant son entrée n'a rien de doux en la matière : Il ne joue pas un long strip tease, il n'essaie pas de faire passer la Valda avec tendresse ni de vous faire venir à lui patiemment. Il n'est pas de ceux qui prennent l'air aimable ou qui se cachent sous des fards pour vous accrocher.
        Malgré tout c'est bien lui qui a éveillé mon nez aux fleurs blanches. Au Gardénia. Il est venu éclipser toutes mes idées de tubéreuse graissante, de jasmin facile, de lys approximatif... Ces fleurs dont la lisibilité frôle souvent le simple cliché dans mon imaginaire (n'évoquons même pas la blanche fleur d'oranger qui, après tout, n'est que pâtisserie à base de bébé mou).
     
        Et c'est sur ce monde là que la porte s'est ouverte :
   

                               L'atmosphère est lourde, pesante, terriblement moite et... Si souriante pourtant :

 
...Explosion blanche en nuage atomique : le champignon, poli et luisant, est le tout premier compagnon de cette dame blanche, admettant à ses cotés le pétillant d'une orange douce gorgée de soleil. Cette bouchée de fraîcheur terreuse, c'est la crinoline un peu rouillée qui maintient la robe lourde et laisse passer le grand air...

... Un grand air saturé et narcotique. Une bouffée de gazole ultra féminine et transpirante, un road trip fantôme. Une quetsche mate pour s'amuser la gueule, le gardénia a beau prendre des accents de gorge miellée, se déployer, jouer avec rose et jasmin, voire se costumer en tubéreuse, il reste bien là,  prêt à s'embraser, pétales blancs maculés d'essence.

... Pétales blancs et gras d'une cire animale un peu sale. De celle qui colle à la peau et accroche les derniers vestiges solaires de la fleur toxique. Une cire en écho au souffle de la vieille station essence maintenant abandonnée. Un vieux piano joue seul, il parle des fesses qui lui sont passées dessus. Un souvenir à peine fumé, entre labdanum et encens, s'immisce doucement, rappel que la nuit tombe.




   
       Velvet Gardenia est une apparition. Tonitruante et fantomatique à la fois. Elle charrie toute la chaleur et la langueur d'un vieux sud dépassé, déambulant entre maison à colonnes et cabane au bord du bayou, dansant d'une salle de bal à un bar à néons rouges. Si la robe blanche qui virevolte fut à crinoline, si la femme fut une dame, leur chemin en a explosé les codes, les propulsant dans un air trouble et lourd, entre mélancolie et piano mécanique déglingué, jupon froissé et culotte arrachée,  foule assommante et paysage désertique.
 
   
     

                C'est la prouesse de Velvet Gardenia : une cohabitation sulfureuse et anachronique entre deux mondes. Faste et trash, élégance immaculée et libido exacerbée. Le glissement du soleil brûlant vers l'ombre veloutée, un arrière gout de décadence lasse... Ou peut être juste un avant gout... S'il est d'aujourd'hui, des fantômes tournent autour, un brin vulgaires mais si somptueux.


Ellen Von Unwerth,  Solve Sundsbo, Helmut Newton. 

 




mardi 8 juillet 2014

Voyage en Croatie

     Comment faire frémir, rougir et bondir de plaisir Lys Epona, tout cela en même temps ? En lui faisant prendre la pose au milieu d'autres divins effluves...
     Parfum et flacon intimement liés, un air de vintage et un joli tour pour Lys Epona au fil de ce bel article paru dans le Elle Croatie de Juin 2014  : 








...C'est beau, j'aime, merci !



mardi 6 mai 2014

Digression : Bois Lumière, Anatole Lebreton


    
    
     Au milieu de certaines marques de niche capables de nous pondre des dizaines de jus par an, à grand renfort de concepts façon publicité luxe pour Whiskas, où les vessies se prennent pour des lanternes et où, accessoirement, on nous prend pour des vaches à lait mono neuronées... Au milieu donc, émergent parfois avec bonheur des oasis lumineuses, des endroits où le parfum est une substance faite de passion et de créativité, où le parfumeur touille ce qu'il aime au delà du cahier des charges d'une fashion so hype, des endroits faits pour la pure luxure du nez.

      
     Bois Lumière, d'Anatole Lebreton vient de là. Et après une première rencontre furtive avec un échantillon et des mois d'attente dans le souvenir d'une main divinement parfumée, me voici enfin en possession d'un flacon.
      Mais après tout ce temps passé, j'ai un peu peur d'avoir enjolivé l'histoire, de voir un grand coup de foudre se transformer en petit coup de cœur puis finalement en amitié des plus convenable.
      Alors Bois Lumière : que me racontes tu ?  Où me transportes tu ?


     
     ... Une ouverture radieuse de miel doré, flirtant avec une goutte de vieille liqueur, patinée d'une cire sombre. Escorté d'un cortège aux accents camphrés, sur un accord jasmin/tubéreuse proche d'un fruit, c'est une entrée tumultueuse. Un délice de gourmandise organique, loin de toute forme sucraillonne ou alimentaire. C'est rude et épais, ça vient de la gorge. En fait non, pas épais : il y a cette fraîcheur comme un courant d'air qui évite tout aspect collant, un romarin infusé ? De l'anis ? Ou bien finalement, alors que je voyais un miel de châtaignier, voire de sapin, peut être est ce celui de lavande qui coule, parsemé de muscade douce... Déjà l'immortelle pousse.

      Arrive alors un cordon boisé de cèdre qui explose en poussière sous la puissance de cette immortelle. Entre sécheresse et lourde densité. Superbe, rien de curry.
     C'est une peau sur laquelle le soleil a cogné, la moiteur de la transpiration et de la salive séchée au vent. Un arrière nez de zan joue sur l'aspect sombre et cuit. Mais toujours cette "fraîcheur" qui se faufile. C'est surprenant. Comme des sortes de flash back de toute une journée, des persistances olfactives venues d'ailleurs, entre ombre et lumière.

     Je navigue alors près d'un chocolat noir fondu trop vite, un peu cramé au fond de la casserole, parsemé de grains de framboise, et l'impression d'une trame cassie javellisée. Je suis au cœur d'une forêt transpercée de lumière, gorgée de sève et d'aiguilles de sapin, l'air, balsamique, n'est que tiède mais la terre irradie la chaleur accumulée. Est ce que ce sont des fruits qui éclatent sous mes pas ? Qui sait... Au fil du chemin et des rosiers sauvages, j'arrive près des côtes, fouettées par les vents et les embruns, les rochers sont brûlants et salés, j'ai envie de me fondre dessus. Une traversée végétale et minérale.

     Puis organique encore... L'évidence de la cire si précieuse et omniprésente. Lorsque le parfum se tamise, se dépose, c'est une expression du corps qui surgit.  Mais là c'est la peau qui exhale, qui s'offre : une odeur de noix et d'iris, l'odeur d'une aine amoureuse, sébum et poil accueillants compris (oui, celles que j'ai croisées sentaient la noix et l'iris, c'est plutôt bien non ? ). Du cagnard descendant émane alors cette réglisse passée au percolateur avec des restes de café, la vieille liqueur de noix renversée qui persiste sur le meuble ciré, un rhizome terreux se desséchant au soleil, un résidu salé de transpiration propre... Il y a, dans ce premier fond, de l'aine culbutée, une tension apaisée où il fait bon enfouir son visage.

      ... Et il y a enfin le souvenir du parfum... Avec une tenue terrible Bois Lumière ne joue pas les fantômes : il est là, accroché, marc de réglisse à l'immortelle, miellé un peu âcre, fumé à la cire, chaud de benjoin, dépouillé du reste, on retourne dans la foret, le bois dormant, toujours fier.

     Où me transporte Bois Lumière ? Au milieu de grands arbres, jusqu'à une côte aventureuse, sous un soleil de plomb.
     Ce que me raconte Bois Lumière ? Une histoire de corps que l'on a envie de dévorer...




   

                                                                         Bois Lumière me fait aimer le soleil.
                                        Ici c'est celui sans exotisme mais rempli à la fois de fièvre et de langueur lumineuses.
                                         J'envisagerais même la plage grâce à lui... Ça donnerait plutôt ça donc... Accordé  ?

Photo: Ellen Von Unwerth
                                                         
                             

                                           

 

mercredi 26 mars 2014

Digression : Muscs Koublaï Khan, S.Lutens


   

 

     Muscs Koublaï Khan... Un nom qui m'évoque des steppes à perte de vue, des loups aux aguets, des galops à perdre haleine, une liberté furieuse, des conquêtes âpres, une richesse chatoyante. C'est sauvage et brutal, à ciel ouvert, infini... 
     Puis un jour j'ai posé le nez sur l'odeur de ce nom et au lieu d'immenses étendues farouches j'ai été invitée à pousser une porte, celle du palais du Khan, d'une yourte, d'une chambre. J'ai poussé un lourd tissu et je suis entrée :


Marylin en Theda Bara dans Cléopatre.
Photo par Richard Avedon, 1958

 


    La première fois que je l'ai senti je n'étais pas encore imprégnée de toute sa légende d'animalité sale, quelques on-dit sur le bouc bien sûr, mais rien d'assez fort pour m'emplir d'à priori... Et j'ai été bouleversée.
    Soulever le rideau m'a propulsée au cœur d'une ambiance charnelle assez terrible, baignant dans un luxe "barbare", une musique lascive posant un poignard au creux des reins, une douceur voluptueuse, une tension apaisée dont le cri est maintenant un ronronnement satisfait, un rien narquois. Muscs Koublaï Khan c'est l’alcôve du guerrier révélée : des tentures, des trésors, de la peau, humaine et de bête.

    Cette rencontre je l'ai faite en 2007, et depuis j'ai accumulé les flacons et donc les versions ! Comme Serge Lutens ne le cache pas, des reformulations ont été opéré et bien entendu je râle. Cette impression de voir un lieu pillé par chaque passant qui ôte un fil à la tenture, juste un, pas grand chose, mais pourtant le lustre se perd doucement et l'histoire de la chambre du Khan devient pâle, un souvenir qui se délave malgré la jolie tentative de conservation.
   Alors j'ai pris toutes mes bouteilles et j'ai senti ce que chacune voulait bien me raconter, j'ai croisé mes souvenirs avec les jus bien réels.
     Ici j'ai décidé de parler du plus ancien, à étiquette violette, puis d'un de 2008, de l'export 2009 et enfin d'un 2013. Pourquoi ceux là ?


De l'étiquette violette :
      Parce c'est le plus vieux de ma réserve et d'ailleurs sa tête semble un peu trop flirter avec une rose piquée mais je ne lui en veux pas, c'est une patine d'époque dirons nous !
      Immédiatement je suis drapée dans une fourrure gorgée de costus, grasse et poussiéreuse. A peine entrée dans la pièce c'est la main qui se glisse entre les fesses, sans préliminaire. Bousculée, le visage fardé d'une rose cosmétique et poudrée s'incruste dans la peau de bête. Au milieu des volutes ambrées de labdanum, la botte de cuir exhale le castoréum. Sous la semelle de la terre s'accroche encore, des racines, du patchouli.
      C'est une sensualité sauvage et fougueuse, le corps du cavalier mongol après sa course, sueur et cumin, cheval et cuir. La poussière incrustée dans les tissus... Mais c'est aussi la douceur raffinée d'onguents, de cosmétiques, sur une peau chaude, musquée. Deux univers fusionnent et ne font qu'un, peau contre peau.
      L'étiquette violette c'est ce moment là : un corps imprégné de l'autre, satisfait... Un peu de la poussière des steppes est entré dans la yourte et y a pris place.
      Un bouc ? Non certainement pas, un loup mongol...
      Magistral


De la cuvée début 2008 :
       Parce que je veux mettre le nez sur ce qui précède la révolution que sera l'export plutôt que sur le souvenir de mon premier flacon de 2007 ! Donc voici l'époque étiquette noire avec arcades.
       Une ouverture très différente, sans doute incomparable avec la tête précédente altérée. C'est beaucoup plus raide et baumé à la fois : un peu patchouli à effet chocolat/raie des fesses qui tient toute l'évolution, beurre de cacao, un brin "karité idéalisé" (celui des crèmes cosmétiques qui veulent faire oublier que le karité sent le cul, le beurre rance et le vomi). Le costus est une ombre dans un effet poussière gras. En fait une coupe de fruit cachée apparaît dans cette poussière, rien de prégnant, juste une touche.
       C'est une rose rouge, sombre et grasse de cosmétique, celui du rouge à lèvres à l'ancienne, qui prend le pouvoir, nimbée d'une base animalis superbe. C'est plus aimable, plus rond, moins sauvage... Avec une sensualité plus élaborée. Et étrangement ça sent plus les fesses ! La fourrure animale d'avant laisse place à une peau plus humaine, moins sauvage certes, moins "libre", mais bel et bien plus humainement sexuelle, une idée d'immortelle à la clef.
        L’atmosphère de la pièce est saturée et plus lourde. Labdanum, ambre et vanille sont plus présents, miellés. Plus riche, moins brutale. Plus proche de notre époque ? Une chose est sure le Khan s'est sédentarisé. Il a délaissé les bottes en cuir, seul un fin ceinturon se fait encore sentir.
        C'est un peu triste, ça ne sent plus l'épopée, la porte ne s'ouvre plus sur la steppe. Mais on s'envoie toujours en l'air dans un décor païen,  l'ombre du loup veille, juste plus sage et tranquille, aujourd'hui il jouit de ses richesses plus que de ses conquêtes.
         Magnifique.

De la sortie export 2009 : 
       Parce que je n'y ai pas cru... Lorsqu'il est sorti, encore avec l'étiquette aux arcades, je l'ai négligemment vaporisé, en passant devant un stand vite fait, histoire de sentir MKK ce jour là. Je n'avais rien derrière la tête, pas une seule pensée de reformulation à l'esprit, juste le plaisir de sentir mon parfum. J'ai alors simplement et sincèrement songé que ma peau devait être corrompue par je ne sais quoi et j'ai zappé ce moment fort désagréable de patchouli ultra raide et rêche, entouré de flotte et garni de vanille...
       Bien sur j'y suis revenue, plus d'une fois, et j'ai su que m'a peau n'avait rien à voir dans ce naufrage. Oui, c'était bien le parfum, les traits distordus, grossiers, comme si une invocation chaotique tentait de prendre corps en imitant Muscs Koublaï Khan. Une esquisse rudimentaire, un élémentaire sans force et criard. A pleurer de colère.
       Mais une occasion s'est présentée et je n'ai pas résisté à prendre un flacon... Que j'ai mis des mois à ouvrir. Et là, ô inattendu, il n'était pas laid et bien moins flingué que dans mon souvenir.
       Son départ est toujours trop patchouli peu subtil, la coupe de fruit n'est plus cachée mais bien en évidence, c'est étrange. En fait ce jus me donne l'impression de contours artificiels : tout est appuyé pour souligner le trait au lieu de laisser le contraste créer l'image. On joue sur la saturation pour créer une teinte. Le rendu est joli mais trop brutal, c'est beau mais ça manque d'âme. La patte de l'artiste est faussée, on l'a obligé à revoir sa toile, il essaie de ne pas se noyer.
        Son cœur est plus évident aussi : surjoué et lissé à la fois... Outre la sédentarisation du Khan on en arrive aux voies pavées pour nous montrer la bonne route à suivre !
        La rose est moins sombre et cosmétique, la fesse plus élégante, moins animale, moins sale... En fait non, elle n'est pas plus élégante : elle est mécanique ! Du cul qui fonctionne sans chaleur, qui connait son rôle de cul. Et la dose ambre/labdanum/vanille enrobe l'ensemble un peu trop... "Vastement".
        Tout cela n'est pas horrible ou mauvais. Ce ne sont plus les mêmes instruments qui jouent la partition mais la mélodie reste la bonne. Si j'oublie l'histoire contée autrefois alors oui il est beau.

De la mouture 2012 : 
       Parce que c'est la version la plus tardive que je possède actuellement et qu'elle boucle donc l'histoire MKK pour nez, un logo en guise d'arcades... Et je l'ai ouverte pour la première fois juste pour en parler ici !
       Une telle surprise me dessine un sourire incrédule... Vraiment ? Tout ce rose pâle, ce vert étrange, cette amande talquée, ce fruit frais, tout ça dans ce jus là ???
        Bon je recommence... C'est toujours présent mais un peu plus profond tout de même, j'ai exagéré. En revanche la première image qui me vient à l'esprit est : le jour et la nuit. Je suis en plein jour ici, c'est jeune et lumineux. Il y a une odeur de "parfum", détestable, que je n'arrive pas à définir, et du vieux powerhouse 80's éventé s’immisce dans tout ça. Il est modernisé pourtant. Ça lui donne une bouffée d'air frais, une fenêtre sur une steppe bien changée.
        Si celui d'avant était une tentative d'incarnation brutale, celui ci est une réincarnation épurée... De sexuel je n'y vois qu'une vierge se masturbant devant un poster du khan... Oui j'exagère encore mais ce contraste jour/nuit est très déstabilisant. En fait j'ai dans le nez un faux chypre qui veut faire femme.
         A l'évolution il est beaucoup plus travaillé que l'export, il gagne en finesse et maîtrise. Mais il perd toute sauvagerie. Le cul ? Hmmm, il est là et bien propre, on y glisse à peine un doigt par principe.
         C'est trop carré, on a troqué la chevauchée barbare et sexuelle contre un corset blanc un peu pervers et les fourrures sont aussi sold out que dans un film porno...
         Malgré tout le fantasme opère et si l'ombre du tigre blanc de Sibérie se mue en chaton arrogant et joueur pourquoi pas, bouder serait se priver. Et surtout vers la fin la nuit tombe et le corps redevient un peu plus libre... Muscs Koublaï Khan est bien là, il est beau.






     Ces versions je les ai senties "en même temps" dans une volonté de comparaison et ce fut très pénible !!! Je fus bien souvent la colère incarnée,  prête à éventrer des fourmis par frustration, à chouiner de dépit, à prendre un billet aller simple pour Oulan Bator et m'inscrire à un tournois de lutte... Séparément elles sont toutes des parfums que je choisirais aujourd'hui avec plaisir.
     Étrangement je trouve que c'est le passage de l'étiquette violette à la version 2008 qui est le plus spectaculaire : ce sont deux univers différents aux liens ténus, il y a tout un pan de non dit entre les deux... Toutes les autres versions sont des "déclinaisons", découlent les unes des autres, le lien est bien direct.


       Je suis tranquille avec les reformulations, les discontinuations : il n'y en a plus ? C'est moche ? Tant pis, j'ai profité, j'ai connu, j'ai vu, j'ai aimé... Il y aura d'autres choses.
      Mais là je vois bien l'ombre d'une angoisse se profiler et rire de moi : comment vivre sans ce parfum ? il faudra déjà beaucoup de tendresse pour supporter le dernier changement... Je ne veux pas le perdre.




Addendum : j'ai remis le nez sur ma version 2012... Et c'est bien plus joli ! Quelle est donc cette magie ? Une petite réflexion s'impose ici



lundi 20 janvier 2014

Digression : C'est La Vie, Christian Lacroix

    J’ai construit mon histoire avec le parfum sur l’idée que nos débuts furent compliqués : les années 80‘s m’ayant retourné le nez et l’estomac, grâce à ces dames prêtes à conquérir le monde à l'aide d'une demi bouteille, déversée chaque matin dès 8h, au creux de leurs épaulettes. Dans l’ascenseur, les transports, les lieux confinés... Ce fut rude.
    J’ai mis du temps à apprécier le corps d’un parfum, et longtemps je n’ai porté que des jus plutôt légers (Osons situer l'affaire : Mûre et Musc de l’Artisan Parfumeur et Bambou de Weil !), laissant mon vice, déjà présent tout de même, se satisfaire des "outrageusement nucléaires" juste au bouchon, sur touche, mais jamais sur moi...
    Pourtant je viens de mettre la main sur un flacon, mon flacon... La légende trinque d'un coup ! Je l’ai porté presque à sa sortie, je l’ai aimé, et il n’est ni léger, ni clair, ni tendre, ni doux...

 


    1990, Edouard Fléchier prend la direction d’un grand orchestre symphonique et remet à la maison C.Lacroix une partition chatoyante et bruyante : C’est La Vie...
 

 

    Quelle entrée ! Tout tremble et résonne dès les premières notes, chaque instrument donne de la voix, l'accord semble précaire et pourtant il ne rompt pas, il est le décor même de l'histoire... C'est La Vie, C'est Casse Gueule, mais on fonce à travers entre joie et lourdeur.
    Les aldéhydes jaillissent, ourlés d'un ananas bien mûr, épicés d’œillet, gorgés de fleurs blanches très tubéreuses/seringats, avec cet aspect terpène narcotique... Un effet malabar framboise/cerise/jasmin accompagne l'ouverture de façon incongrue -et girly avouons le- pour très vite se fondre en une rose gourmande. Le coussin d'ambre est déjà là, juste une armature, il canalise le geyser.


    Lorsque le parfum se pose, le bouquet blanc laisse doucement tout le reste s'exprimer : de la pêche, jaune sans être très sucrée, un patchouli un peu rêche et boisé, de l'iris bâillonné au cèdre, une fleur d'oranger bardée d'ylang, jasmin, musc, benjoin, héliotrope, vanille... Toutes les notes, les matières s'entendent parfaitement... Il suffit de les lister et elles sont là, évidentes en plein fouillis, on ne peut les manquer...
      Oui c'est un joli bazar, une sorte de brouhaha enivrant, plein d'entrain. C'est plonger son nez dans le décolleté trop froufroutant d'une cocotte encore fraîche et jeunette,  de celles qui sont assez fières et arrogantes pour assumer leur brin de vulgarité sans aucune justification... Too much ? A peine. Juste ce qu'il faut en tout cas.
       Pourtant il a aussi un aspect plus profond, un velours tape à l’œil, aux zones d'ombre fuyante, miroitant au coin du feu, une tache de vin chaud, cannelle orange, fondue dans les plis. Le cuir d'une main gantée qui frôle des lèvres peintes. Et puis cette odeur de cheveux nourris d'huile indienne au jasmin qui reste sur l'oreiller...
     En réalité il n'y a aucun désordre, les 137 musiciens sont servis par une acoustique parfaite, ce qui est joué l'est avec justesse, l'émotion de la pièce est sur un fil instable, une sorte de united states of tara latent, et c'est sa force...  C'est La Vie ou l'art du chignon coiffé décoiffé !!!

   
     
      Mais je dois avouer que si son évolution arbore de jolis bois à la fois lactés et rêches, qu'elle devient moelleusement musquée, si elle adoucit l'ardeur des fleurs blanches et qu'elle tamise l'ambiance entre poudré et crémeux, elle n'oublie guère l'ambre, la vanille, l'héliotrope et le cortège de sucre des fruits, me le rendant tragiquement importable j'en ai peur... Mais  le minuscule champignon qui pointe, perturbant dans ce tableau, est terriblement intrigant et presque addictif, malheureusement il ne dure guère !
    Au final C'est La Vie joue sur toutes les facettes : floral, boisé, gourmand, fruité, poudré, grave, pétillant, très fille, très femme...C'est étrange de savoir que je l'ai porté, qu'il m'a plu. Une drôle de photo souvenir... Je m'y perds et je m'y sens bien.

(...Et j'ai toujours vu le flacon comme un rocher avec une branche de corail, bien trop petite d'ailleurs... Le cœur biologique de la chose m'avait totalement échappé. Je l'aime bien ce flacon...)